Tout se déroulait pourtant si bien. Qu’ai-je bien pu faire pour mériter une telle humiliation ? Le paieront-ils un jour ? Je l’ignore encore. Tout ce que je sais, c’est qu’en ce moment je les vois tous, ces misérables. J’avais tout pour réussir, absolument tout, et me voilà maintenant lâchement abandonnée, pour l’éternité. J’aime beaucoup cette balançoire, et en même temps, j’en ai marre d’être avec elle. Elle ne scintille plus autant que le jour où je l’ai rencontrée. Je me souviens encore du temps où elle me rassurait quand je pleurais, du temps où elle me balançait très haut dans les cieux, juste au-dessus des gratte-ciels. Je surplombe la ville depuis cette balançoire, c’est un point de vue que je n’avais jamais remarqué auparavant. Ils sont tous méchants avec moi, tous.
À peine suis-je arrivée ici que je pleurais si fort que si les gens pouvaient entendre cette cascade d’eau cela ne m’aurait pas étonnée. Je suis arrivée comme si je venais de naître, mais avec un esprit plus clair et plus propre, bien que j’aie perdu le langage en chemin. Enfin, à quoi cela m’aurait-il servi ici ? Je vis dans les nuages maintenant, je respire la fumée que la ville dégage jour et nuit, mais cela ne m’affecte plus. Pour moi, la fumée noire et l’air pur se confondent pour former une vapeur qui passe au travers de mon corps, comme une fée qui passerait par là. Les fées n’existent pas, sinon il y a longtemps que j’en aurais croisé. Tout cela m’ennuie peu à peu, et la balançoire semble s’en moquer. Je me demande d’ailleurs qui l’a déposée ici. Qui aurait été assez dingue pour en construire une aussi haut ? Peut-être des fées, si elles existent elles sont invisibles, ou bien je suis insensible.
Au début, j’ai beaucoup aimé me pencher le plus en avant possible, m’accrochant à la balançoire pour ne pas chuter, laisser plonger ma tête vers mes petits pieds, abandonnant les muscles de mon cou, pour admirer la ville d’une vue dont je suis la seule à pouvoir profiter, et je riais naïvement, je riais comme une enfant. Mes rires se perdaient au loin, je les regardais partir, cela me plaisait.
Ai-je le mérite de profiter d’un tel spectacle dont je commence à me lasser ? Si je demandais aux autres, la réponse serait évidente : je n’ai aucun mérite à être là, si je suis là, c’est parce qu’ils m’ont poussée.
Que ce passerait-il si, par un simple coup de tête, je lâchais prise et me laissais tomber dans le vide ? Seraient-ils prêts à me rattraper ? Que serait la vie si nous ne tentions jamais rien par peur d’échouer ? Le cœur lourd mais serein, je contemple une dernière fois l’horizon. C’est la fin de la matinée. Tout est sombre. J’aurais préféré plonger un jour d’été, mais je sens au fond de moi que l’attente me serait vite insupportable. Tout est là, si loin dans les airs, au creux de mes mains. La balançoire décrit un rapide mouvement de l’avant à l’arrière, de l’arrière à l’avant, comme une brise qui me caresse les joues. Maintenant que tout est imprégné dans ma mémoire, je ferme les yeux, je lâche prise.
Personne ne m’a rattrapée. Au lieu de ça, je me suis envolée.